Exécution de sentences arbitrales internationales en Allemagne – attention au caractère certain du dispositif

Dans les relations juridiques franco-allemandes, les parties à un contrat commercial transfrontalier conviennent souvent d’une clause compromissoire afin de ne pas devoir résoudre leur conflit devant les tribunaux étatiques en France ou en Allemagne. Les sentences arbitrales rendues en France sont en principe exécutoires outre-Rhin. Concernant les frais de la procédure, mis à la charge de la partie perdante par le centre d’arbitrage, la question se pose ici de savoir sous quelles conditions la décision les concernant peut aussi être exécutée en Allemagne. 

 Application de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution de sentences arbitrales étrangères et de la procédure civile allemande

L’Allemagne et la France sont parties à la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères. L’article IV de ce traité prévoit que pour obtenir la reconnaissance et l’exequatur d’une sentence arbitrale, la partie qui la sollicite doit fournir l’original authentifié de la décision ou une copie authentique ainsi que l’original ou la copie authentifiée de la clause compromissoire.

Le §1064 du code de procédure civile allemand (Zivilprozessordnung) prévoit une règle plus souple. Pour demander l’exequatur d’une sentence arbitrale, la demande doit simplement être accompagnée de la sentence arbitrale ou d’une copie certifiée de la sentence. 

Décision de l’Oberlandesgericht Köln du 8 mars 2022 sur l’exécution du paiement des frais de procédure prescrit par la sentence arbitrale française

Dans un arrêt de la Cour d’appel de Cologne (Oberlandesgericht Köln) du 08 mars 2022 (19 Sch 10/22), les juridictions allemandes étaient saisies pour déclarer exécutoire en Allemagne une sentence arbitrale rendue par la Chambre Arbitrale Internationale de Paris (CAIP). Le litige opposait une société de droit allemand spécialisée dans le négoce de riz et deux sociétés de droit français, l’une en qualité de vendeur et l’autre en tant que courtier. La société allemande avait acheté auprès de la société française des tonnes de riz, livré en différents chargements. La société acheteuse avait arrêté de payer les livraisons et la société vendeuse avait résilié le contrat. 

Le contrat prévoyait que toute contestation survenant entre l’acheteur et le vendeur et/ou le courtier serait soumis à une procédure d’arbitrage devant la CAIP.

La Cour Arbitrale Internationale de Paris a donné raison aux vendeurs et a condamné la société allemande à leur payer le solde des livraisons qu’il restait à régler, des dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que tous les frais de conseil et de procédure. 

La Cour d’appel de Cologne reconnait la force exécutoire de la sentence arbitrale en application du droit allemand et de la Convention de New York, la simple production de la sentence arbitrale en original ou d’une copie certifiée conforme étant suffisante. 

Cependant, les juges allemands refusent de reconnaître le caractère exécutoire à la sentence en ce qui concerne les frais de la procédure d´arbitrage, bien que des factures y afférentes aient été présentées. En effet, les juges reprochaient l’absence de chiffrement précis de ces frais dans le dispositif de la sentence arbitrale. 

 

Décision de l’Oberlandesgericht Düsseldorf du 1er mars 2011 sur l’exécution des frais de procédure décidés par la sentence arbitrale espagnole

Une décision dans le même sens avait déjà été rendue par la Cour d’appel de Düsseldorf (Oberlandesgericht Düsseldorf) le 1er mars 2011 (4 Sch 11/10). La Cour d’appel de Düsseldorf, appelée à prononcer la reconnaissance et l’exequatur d’une sentence arbitrale espagnole en vertu des §§ 1061, 1062 alinéa 1 n° 4 ZPO, ne s’est pas considérée autorisée à compléter la sentence peu précise sur les frais du tribunal arbitral. Cela s'applique, selon la Cour d’appel de Düsseldorf, également à une décision sur les frais incluse dans la sentence arbitrale, si elle n’est pas suffisamment certaine et doit être complétée ou précisée à certains égards, notamment en ce qui concerne le montant précis des frais à rembourser ou le taux d’intérêt. 
 
 

Décision plus favorable à l’exécution du BGH du 30 novembre 2011

Or, la décision de la Cour d’appel de Düsseldorf du 1er mars 2011 a été cassée par la Cour Fédérale allemande (BGH) par un arrêt rendu le 30 novembre 2011 (III ZB 19/11). Dans cette décision, la BGH a clarifié que les exigences de précision par rapport à un titre exécutoire ne concernent pas la décision étrangère à exécuter, mais la décision allemande relative à l’exequatur en Allemagne. D’après la BGH, il n’est donc pas justifié que les tribunaux allemands refusent l’exequatur pour cette seule raison aux décisions étrangères qui ne satisfont pas aux exigences nationales de précision pour les titres exécutoires. Dans un tel cas, il convient plutôt de concrétiser le titre étranger – le cas échéant après avoir procédé à un examen des preuves relatives au droit étranger – de manière à ce qu’il puisse exprimer les mêmes effets qu’un titre allemand correspondant. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité concrète et pour des cas particuliers que la demande d’exequatur doit être rejetée, car il serait contraire à l’ordre public allemand de rendre une décision d’exequatur qui ne pourrait pas être exécutée par les organes d’exécution [c.f. BGH, décision du 04.03.1993 (IX ZB 55/92)]. Toutefois, la BGH confirme qu’un tribunal allemand saisi d’une demande de reconnaissance et d’exequatur d’une décision étrangère ne peut pas substituer sa propre décision à celle du tribunal arbitral ou en modifier le contenu, mais seulement clarifier la volonté déjà exprimée dans la décision étrangère – même si elle est imparfaite et pas encore suffisamment déterminée pour une exécution – et, dans cette mesure, l’aider à produire ses effets.

En résumé

Les sentences arbitrales provenant d’un Etat partie à la Convention de New York de 1958 sont facilement reconnues et exécutées en Allemagne. Cependant, les juges allemands n’autorisent l’exécution de la sentence que si elle est suffisamment certaine selon les standards du droit procédural allemand, ou si elle peut être concrétisée par la juridiction allemande saisie de l’exequatur. 

De fait, bien que la Cour Fédérale allemande leur demande en principe ce travail de concrétisation, les Cours d’appel régionales allemandes sont souvent réticentes à considérer des éléments externes à la sentence pour la préciser, comme des factures ou des informations officielles sur les taux d’intérêt applicables. Pour éviter tout problème par rapport à l’exécution des créances accessoires devant les Cours d’appel allemandes, il est important que les conseils fassent le nécessaire, en premier lieu dans le cadre de la procédure d’arbitrage pour que les arbitres prononcent une sentence susceptible d’être intégralement exécutoire en Allemagne. A titre d’exemple, il convient à cet effet d’amener les arbitres, si possible, à chiffrer les frais qui sont à restituer par la partie adverse, où à rendre une sentence séparée sur les coûts une fois que ceux-ci peuvent être chiffrés. De même, les taux d’intérêt applicables doivent être concrétisés de sorte que les juges allemands saisis de la demande d’exequatur soient à même de calculer les intérêts échus en se fondant exclusivement sur le contenu de la sentence arbitrale. Si certaines condamnations s’entendent avec une TVA étrangère, il convient que les arbitres chiffrent le montant total TTC dans le dispositif de la sentence. La seule mention « HT » dans le dispositif emporte le risque que la juridiction allemande, saisie de la reconnaissance et de l’exequatur de la sentence en Allemagne, ne déclare exécutoire que le montant principal sans la TVA.

 

Dr. Daniel Smyrek

Roxane de Bouvet

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